Un jour, un client rentre dans ma boutique et achète tous mes t-shirts. Il m’explique qu’il a trouvé des acquéreurs prêts à y mettre le prix, il me demande de lui en trouver encore plus pour demain et il m’annonce qu’il les payera deux fois plus cher. Une fois l’étrange client sorti, je me précipite sur mon téléphone et je commande à mon fournisseur de t-shirts habituel un nouveau lot. Le lendemain, le singulier client repasse et me prend à nouveau tous mes t-shirts, au double du prix de la veille. En partant, il me déclare que ça ne suffit pas et qu’il passera à nouveau demain pour acheter ce que j’aurais en stock, 10 fois plus cher. Plein de confiance, je contacte à nouveau mon fournisseur qui m’explique être en rupture ce matin, mais attendre pour l’après-midi même un nouveau lot de t-shirt. Le seul problème est que ceux-ci seront 5 fois plus chers. Je fais un peu la grimace, mais sûr de les revendre encore plus cher, je passe commande.

La suite, vous la devinez, l’acheteur n’est jamais repassé et finalement, je me retrouve avec un tas de t-shirt achetés 5 fois trop chers. De plus, quand je regarde de plus près mes articles, je constate que ce sont les t-shirts que j’avais initialement vendu à ce mystérieux acheteur…

L’exemple peut paraître caricatural car on parle de t-shirts et on a une certaine notion de la valeur d’un tel bien. Les t-shirts nous sont utiles et on a au moins comme référence le coût du coton et de la main d’œuvre dans les pays émergents. Dans le cas des crypto-monnaies, il n’y a absolument aucune référence. Elles sont parfaitement incorporelles et ont été créées sur la base d’un concept purement mathématique : la blockchain (même si, comme toute notion de math, celle-ci peut trouver diverses applications dans notre monde concret). Ces monnaies électroniques ne sont assises sur aucune matière, aucun travail, et n’ont pour rassurer concernant leur valeur intrinsèque que l’idée d’un nombre fini d’unité (21 millions dans le cas du bitcoin). Enfin si, il existe bien une activité de minage au départ, comme pour les métaux précieux, mais c’est très accessoire au concept. D’ailleurs, on peut se demander si le créateur n’aurait pas été mieux inspiré en distribuant équitablement toutes les unités à chaque être humain (enfin, vous voyez l’idée). Avec le minage, comme cela est conçu, Mr Toutlemonde a l’impression qu’il s’agit d’une création de geeks faite pour enrichir des geeks.

Alors bien sûr, on pourra dire que le cash, c’est pareil : du papier auquel on veut bien accorder de la valeur. Et ces monnaies ont même l’avantage sur les pièces et billets d’être encore plus facilement échangeables, dans n’importe quel volume, à n’importe quelle distance, instantanément, etc… Elles ont aussi l’avantage d’être indépendantes des pouvoirs politiques. Malgré tout, aucune monnaie ne peut se passer de pouvoir politique et dans le cas des crypto-monnaies, ce pouvoir est exercé par tout le monde, car toutes les transactions finalisées sont disponibles et consultables sur le registre public de la Blockchain. Ces monnaies n’ont donc pas la confidentialité du cash. Et d’ailleurs, l’heure de taxer les plus-values et de lutter le blanchiment a déjà sonnée.

Pour ma part, je ne mets pas en garde contre une quelconque bulle financière. Dans le fond, rien n’est tangible et aussi, la bulle a débuté le jour où quelqu’un a accepté d’attribuer une valeur à la première monnaie électronique émise en l’échangeant contre quelque chose tangible. Pour la Tulipomanie, il a fallut des tulipes ! Cette fois-ci, le mouvement a démarré ex nihilo.

Je ne réfute pas non plus l’idée que ces monnaies puissent être des instruments financiers. Même si les utilisateurs sont très peu nombreux dans la population, il existe des gens qui réalisent des transactions avec ces monnaies. Celles-ci ont donc une réalité économique, une valeur intrinsèque et ainsi, une fonction socialement utile.

Enfin, je pense qu’il faut écarter l’idée d’un schéma de Ponzi ou de vente pyramidale. Le système ne s’écroulera pas quand on réalisera que l’argent des entrants nourrit ceux qui détiennent déjà ces monnaies. Ça, on le sait depuis le premier jour. C’est l’essence même de l’entité. Au pire, le cours d’une monnaie peut tomber à zéro, faute de demande. Et même si le résultat et le même : la faillite, c’est bien la loi du marché qui aura fait son œuvre et non, le résultat d’une escroquerie mise à jour. D’ailleurs, ne devrait-on pas apparenter ces monnaies à des matières premières ? Sinon, bien sûr, certains promettent des gains futurs pour attirer le chaland, Néanmoins ce n’est pas pour promouvoir la monnaie en elle-même, mais une plateforme qui permet son échange. Par ailleurs, faire miroiter des gains est une pratique commerciale courante qui ne caractérise aucunement une fraude. Et dans tous les cas, quel crédit apporter à une Nabilla qui conseille le Bitcoin !? Personnellement, je trouve ce genre de soutien plutôt contre-productif.

Par contre, ces monnaies électroniques étant encore plus pratiques que le cash, il faut bien en réaliser la principale conséquence : elles sont le plus redoutable outil de contournement des lois qui régissent notre société. On pense d’abord à la facilité qu’elles procurent pour blanchir l’argent sale et alimenter les plus vils trafics. Mais personnellement, je pense aussi à mes clients qui ces derniers temps m’ont demandé mon opinion sur l’opportunité d’en acquérir. Ma réponse est que le marché de ces monnaies électroniques ne subit aucune régulation, ce qui en fait un magnifique terrain de jeu à l’échelle mondiale pour nos banques, « hedges funds » et tous les professionnels de la spéculation financière. No rules ! Aucun risque d’être accusé de manipulation de cours, tel que défini en France à l’article 743-1 du Règlement de l’AMF et qui peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement de l’article 465-3-1 du code monétaire et financier, et ainsi faire encourir jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 100 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit. Bref ! Plus d’arme de dissuasion massive du législateur ! Les miraculeux acheteurs de t-shirts entrent et sortent de la boutique quand bon leur semble. Et se mêler à leur jeu, c’est comme faire du « shark feeding », en oubliant d’apporter à manger !